La littérature est un art
La
littérature est l’un des multiples domaines de l’art. Il est important de
rappeler à l’élève ou à l’étudiant qui aborde plus ou moins fréquemment cette
discipline que celle-ci a connu et continue de connaître des points de
divergence au sein de la grande famille qu’elle forme. A la question de savoir
ce qui est à l’origine de ces problèmes, la réponse ne coule pas de source. En
effet, les œuvres littéraires posent des préoccupations relatives à leur
fonction sociale, à leur capacité de changer le monde, à la source d’inspiration des écrivains, mais
également à leur actualité.
LES PROBLÈMES QUI DÉCOULENT DE LA LITTÉRATURE
Parmi les problèmes qui se posent en littérature, l’on peut citer celui
du rôle, c’est-à-dire le but ou la fonction des livres. De cette question
première, de nouvelles préoccupations naîtront. Nous évoquerons entre autres la
question de l’efficacité des œuvres d’art, le problème de la création littéraire,
mais aussi celui de l’actualité des livres. Tout part cependant de ce que
certains considèrent l’art comme une activité n’ayant aucune visée utilitaire,
sociale, mercantile (commerciale). KANT fera par exemple de l’art « une activité
en elle-même agréable, une sorte de jeu ».
De
ce point de vue, l’art pour l’art par opposition à la technique est l’art pour sa propre
finalité, son propre but, sa propre raison d’être.
I-LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE
1-L’ECOLE DE
PARNASSE: L’ART POUR LE DIVERTISSEMENT
Au sujet de la question sur la finalité de l’art, on a
historiquement assisté à une polémique. En effet, l’École de
PARNASSE avec pour chef de file Théophile GAUTIER (français), élaborera
la théorie de l’art pour l’art. L’art selon les parnassiens se dénature en
voulant servir des causes utiles. Ainsi, GAUTIER affirmera de manière
péremptoire qu’ « il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir
à rien. Tout ce qui est utile est laid ». C’est donc dire que l’art ne
peut garder sa valeur, son originalité et son essence qu’en se distançant de
tout engagement d’ordre social, humain ou utilitaire. L’artiste est pour ainsi
dire selon l’avis des parnassiens, le serviteur du beau au moyen de
l’imagination, par le génie de son style, la magie de son verbe, par la
puissance de son langage, et ce ni plus ni moins.
Mais cette opinion ne fera pas
l’unanimité au fil du temps parmi les adeptes de l’art en général et ceux de la LITTÉRATURE en particulier.
2-L’ENGAGEMENT : L’ART POUR LE PROGRÈS
Mais s’étant insurgée contre le
point de vue parnassien, l’Engagement ne restera pas à l’abri des critiques et
condamnations trouvant leur raison d’être dans trois choses essentielles.
1-L’INCAPACITÉ
DES LIVRES À TRANSFORMER DIRECTEMENT LE MONDE
L’art en s’engageant peut-il changer le monde,
c’est-à-dire transformer les hommes ou résoudre de manière effective les
problèmes de la société ? Là est clairement posée la question de
l’efficacité de l’art (et particulièrement de la littérature). La critique et
la dénonciation ont-elles une influence, un effet direct sur la réalité au
point de provoquer la révolution, c’est-à-dire la transformation substantielle
et totale des mœurs ou du groupe social ? Certains dénonceront
l’engagement comme inefficace et lui préféreront des procédés tels que les manifestations plus ou moins
violentes. Pour ceux-là, on ne fait pas la révolution avec les mots, mais avec
les armes. C’est d’ailleurs l’avis de Henri LEFEBRE qui affirme que « la
littérature ne peut pas apporter le salut parce qu’elle a besoin elle-même
d’être sauvée ». De ce point de vue, les artistes, pourquoi en
faire ? Certainement pour amuser la galerie, divertir les foules,
peut-être dans tous les cas, mais rien de positif.
2-L’INCONTESTABLE POUVOIR
DE LA LITTÉRATURE
A
l’heure des modes de vie précaires, des mouvements de déstabilisation de
l’honneur humain, l’artiste croit en l’art, en sa capacité d’influencer
positivement le progrès social. Comment nier la force de la littérature lorsque
nous connaissons le pouvoir des mots, la puissance de la parole telle que
précisée dans la Bible en
début du premier chapitre du livre de Jean:
« Au commencement était la parole… et rien de ce qui fut créé ne le fut
sans elle.» ? Aimé CESAIRE des années avant nous, comparait déjà la poésie
à un pistolet chargé dont les vers sont des balles. De l’avis de cet auteur, le
poète par la force de ses mots, la puissance de ses vers, peut remplir le rôle
de transformateur des mœurs. La littérature peut travailler à l’éveil des
consciences, elle peut réveiller les esprits endormis, ou sortir un peuple de
sa léthargie (torpeur, profond sommeil)
et lui redonner confiance en lui-même et en l’avenir. C’est sans doute
dans ce courant d’objectifs que s’inscrit l’ouvrage Cahier d’un Retour au Pays Natal. Dans ce livre, Aimé
CESAIRE revalorise la négritude (appartenance à la race noire) et invite les
siens à se tenir debout, à déserter l’indolence (paresse) et le complexe
d’infériorité pour assumer leur destin de noirs. A partir de cet exemple, nous
pouvons dire que l’art est capable de combattre les injustices et faire preuve
d’humanité. De ce point de vue, l’artiste devient la conscience de son peuple
et de son époque, le porte-parole des sans
voix. Et CESAIRE de dire : « Ma bouche sera la bouche des
malheurs qui n’ont point de bouche et ma voix la liberté de celles qui
s’affaissent au cachot du désespoir ». Bien plus, parce que l’homme est
aussi un être d’aspiration, un être de sensibilité en quête de bien être et de
valeurs esthétiques, il peut trouver en l’art en tant qu’expression du beau un
bréviaire (une source de ravitaillement, de satisfaction). ALAIN le disait si
bien dans Système des beaux arts : « le beau ne fleurit
que sur l’utile, jusque dans la poésie où la mesure et la rime eurent d’abord
pour fin de servir la mémoire ». L’art en tant qu’expression du beau peut
consoler, émouvoir, susciter de la contemplation ou de l’admiration. C’est dire
que l’art tout comme les autres activités de l’homme peut participer au progrès
de l’humanité, même si l’artiste ne saurait se substituer à l’ingénieur ou à
l’artisan. Ceux-ci travaillent sur la matière, l’artiste travaille sur les mentalités,
sur les esprits et les consciences. Son œuvre n’est pas pragmatiste, mais n’en
demeure pas moins efficace. D’ailleurs, la révolution française ne porte-t-elle
pas l’estampille des écrivains français qui par leurs œuvres ont pu éveiller
les consciences et combattre la monarchie absolue ?
1-LE
LIVRE LIMITÉ DANS L’ESPACE ET LE TEMPS
L’autre critique faite à l’Engagement est qu’il tue
l’art en tuant l’esthétique, en sacrifiant la recherche du beau au bénéfice des
combats à mener. Disons-le de manière sommaire, l’art peut aligner le souci du
beau à l’exigence du vrai. L’art peut penser juste, vrai, mais aussi bellement.
Enfin, il est reproché à
l’Engagement de créer des œuvres de circonstance, des œuvres qui militent pour
des causes limitées dans l’espace et dans le temps. Or de l’avis de Paul
VALERY, l’œuvre d’art doit résister à l’usure et aux intempéries du temps, c’est-à-dire
accéder à l’universalité et à l’atemporalité. Ainsi pense-t-il :
« l’art opère dans l’éternel et s’avilit à vouloir servir fût-ce la plus
noble des causes ».
Mais de ce qu’une œuvre serve une
cause, s’en suit-il nécessairement qu’elle perde son universalité ? Son
immortalité ? L’œuvre engagée est-elle toujours caduque, dépassée du seul
fait de son engagement ?
2-L’UNIVERSALITÉ
ET L’ATEMPORALITÉ DES PRODUCTIONS LITTERAIRES
Victor HUGO répond. L’œuvre engagée
en parlant de l’homme et de ses conditions à travers les diverses circonstances
de la vie, parle de l’homme en général. A ce titre, il affirme :
« Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Oh, ignorant qui
pense que je ne suis pas toi ». Dénoncer la malhonnêteté au Cameroun c’est
la combattre indirectement partout où elle existe, et, rappelons-le, la
condition humaine est une et universelle. En combattant la discrimination
raciale en Amérique, l’écrivain la décrie partout où elle règne, quelque soit
l’époque qu’elle influence. C’est donc dire que l’œuvre engagée peut survivre à
son temps, demeurer actuelle aussi longtemps que les problèmes qu’elle pose
persistent, ici ou ailleurs. En fait, quand bien même l’artiste s’engage à
dénoncer les maux et injustices, il use toujours d’un style, d’une manière,
d’un ton qui non seulement émeuvent, mais aussi peuvent permettre à son œuvre
d’échapper à la désuétude. L’œuvre d’art ne meurt pas totalement, elle peut
vieillir d’un côté et rester actuelle par un autre.
IV- LA
CRÉATION DE LITTÉRAIRE.
PLATON (428-348 Av J.C) dans La République soutien que l’artiste imite la nature. Pour
cet auteur grec, l’artiste n’invente rien, il n’innove en rien. Tout ce qu’il
peint, décrit ou écrit existe déjà quelque part, et à ce titre, l’art est une
réminiscence des modèles contenus dans la nature. L’œuvre d’art est donc la
copie plus ou moins conforme, le reflet de la nature. Les réalistes pensent que l’art consiste
à peindre le réel, à décrire ou présenter
les
faits tels qu’ils sont. A l’arrière plan de cette thèse, se trouve l’idée que
l’artiste par souci du vrai et du juste, doit être le témoin fidèle de sa
société. Et STENDHAL, dont le vrai nom est Henri BEYLE (1783-1842), dira avec
pertinence : « le roman est un miroir que l’on promène le long d’une
route ». Il s’agit donc pour l’artiste de représenter la réalité sous ses
divers aspects, sans toute fois essayer de l’embellir, de la modifier ou de la
dénaturer.
Notons tout de même que l’engagement
est l’un des pendants du réalisme. S’engager c’est opter pour la contestation
de ce qui est par le moyen de la description. Dans ce sens précis, Albert CAMUS
disait : « Contester c’est constater pour construire ». L’engagement
implique à cet effet que l’on pose les problèmes réels, que l’on décrive les faits
concrets, et à cet effet Jean Paul SARTRE écrivait il y a quelques
décades : « l’écrivain a choisi de dévoiler le monde et l’homme aux
autres hommes ». L’artiste selon l’engagement n’est donc que le témoin
objectif des événements de son époque.
2-L’IDÉALISME ARTISTIQUE: LA FICTION, L’IMAGINAIRE
HEGEL dans Esthétique réfute cette conception de l’art. A quoi bon
« refaire une seconde fois ce qui existe dans le monde extérieur », s’interroge-t-il..
Une telle production ne serait-elle pas oiseuse, superflue ? Pourquoi
représenter sur les tableaux ou dans les livres les scènes que nous connaissons
déjà dans la réalité ? Or, la caractéristique fondamentale de l’œuvre
d’art est le génie créatif, la capacité d’innover, d’inventer, de créer ou de
produire l’original. Selon les créationnistes et les idéalistes, l’art n’imite
point la nature, il crée des modèles qui n’existent pas, façonnent des œuvres
originales qui sont le fruit de l’imagination créative de l’auteur. Nous
comprenons dès lors pourquoi KANT affirme que « l’originalité doit être la
première propriété de l’art ». Ainsi, l’art en tant qu’invention du beau
exige un talent totalement « opposé à l’esprit d’imitation », ajoute
KANT. Le réalisme est à l’engagement ce que l’idéalisme est au Parnasse. L’art
engagé doit décrire le réel comme l’art pour l’art doit s’en passer pour
produire des œuvres originales et belles en elles-mêmes. L’idéalisme se fonde
sur l’idée d’après laquelle l’œuvre d’art est le fruit de l’imagination, une
création ex-nihilo, c’est-à-dire qui n’a aucun rapport avec
l’expérience, qui ne tire pas inspiration de la réalité.
Cependant, le réalisme peut-il se passer de
l’imaginaire ? L’artiste peut-il vraiment créer à partir de rien ?
Malgré leur opposition apparemment tranchée, il paraît que réalisme et
idéalisme se côtoient mutuellement.
De l’avis de Roger CAILLOIS, « toute littérature participe
d’une civilisation. Aucun livre ne sort directement des battements d’un
cœur ». C’est pour ainsi dire que même dans l’œuvre la plus imaginaire qui
puisse exister, se cache les marques de la société de son auteur ou celles de
l’expérience personnelle de ce dernier. A tout prendre, réalisme et idéalisme
s’imbriquent et sont plus ou moins présentes dans les courantes œuvres
artistiques.