CE QU'EST LA LITTERATURE

Arnaud BAKELAK

La littérature est un art

                   La littérature est l’un des multiples domaines de l’art. Il est important de rappeler à l’élève ou à l’étudiant qui aborde plus ou moins fréquemment cette discipline que celle-ci a connu et continue de connaître des points de divergence au sein de la grande famille qu’elle forme. A la question de savoir ce qui est à l’origine de ces problèmes, la réponse ne coule pas de source. En effet, les œuvres littéraires posent des préoccupations relatives à leur fonction sociale, à leur capacité de changer le monde, à la source d’inspiration des écrivains, mais également  à leur actualité.

    
LES PROBLÈMES QUI DÉCOULENT DE LA LITTÉRATURE


            Parmi les problèmes qui se posent en littérature, l’on peut citer celui du rôle, c’est-à-dire le but ou la fonction des livres. De cette question première, de nouvelles préoccupations naîtront. Nous évoquerons entre autres la question de l’efficacité des œuvres d’art, le problème de la création littéraire, mais aussi celui de l’actualité des livres. Tout part cependant de ce que certains considèrent l’art comme une activité n’ayant aucune visée utilitaire, sociale, mercantile (commerciale). KANT  fera par exemple de l’art « une activité en elle-même agréable, une sorte de jeu ».


               De ce point de vue, l’art pour l’art par opposition à la technique est l’art pour sa propre finalité, son propre but, sa propre raison d’être.



I-LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE



1-L’ECOLE  DE  PARNASSE: L’ART POUR LE DIVERTISSEMENT


            Au sujet de la question sur la finalité de l’art, on a historiquement assisté à une polémique. En effet, l’École  de  PARNASSE avec pour chef de file Théophile GAUTIER (français), élaborera la théorie de l’art pour l’art. L’art selon les parnassiens se dénature en voulant servir des causes utiles. Ainsi, GAUTIER affirmera de manière péremptoire qu’ « il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien. Tout ce qui est utile est laid ». C’est donc dire que l’art ne peut garder sa valeur, son originalité et son essence qu’en se distançant de tout engagement d’ordre social, humain ou utilitaire. L’artiste est pour ainsi dire selon l’avis des parnassiens, le serviteur du beau au moyen de l’imagination, par le génie de son style, la magie de son verbe, par la puissance de son langage, et ce ni plus ni moins.

            Mais cette opinion ne fera pas l’unanimité au fil du temps parmi les adeptes de l’art en général et ceux de la LITTÉRATURE en particulier.



2-L’ENGAGEMENT : L’ART POUR LE PROGRÈS

            Dès la fin du 19ème siècle, l’on assiste à un ébranlement des fondements de l’art pour l’art, du fait de la naissance d’un courant littéraire dénommé ENGAGEMENT. Victor HUGO (1802-1885), Jean Paul SARTRE (1905-1980), Albert CAMUS (1913-1960) et bien d’autres encore dénonceront l’indifférence de l’artiste, voire sa démission devant ses responsabilités sociales. Selon ces derniers, parce que l’artiste est un homme vivant parmi les hommes, parce qu’il est interpellé par les nombreux défis à relever de son temps, le non engagement devient une absurdité, une preuve de lâcheté. Ne pas s’engager, dira SARTRE, c’est encore s’engager. C’est précisément s’engager de ne pas s’engager. Ainsi, le non-engagement porte le signe du négatif, il est le signe de la trahison de la conscience du littéraire, de l’homme instruit, et celle de son peuple. Et plutôt qu’un tel engagement, SARTRE propose un engagement positif, conscient, volontaire et responsable de l’artiste. A quoi doit donc s’engager l’artiste ? Écoutons Victor HUGO : « le poète est le guide, le mage, celui qui en des jours impies apporte des jours meilleurs ». L’artiste s’engage pour construire, instruire son peuple, pour être le pédagogue de ses contemporains. Et Léopold SEDAR SENGHOR de dire dans Hosties Noires: « Notre noblesse est non de dominer notre peuple, mais d’être son rythme et  son cœur (…) non d’être  la tête  du peuple,  mais  sa  bouche  et  sa trompette ». L’artiste s’engage aussi à éveiller les consciences endormies, à susciter des élans de révolutions dans le sens de la construction. Il peut ainsi s’engager pour apporter du réconfort. Il s’engage donc pour l’homme, et c’est pourquoi il dénonce les injustices, décrie l’arbitraire, combat les maux tels l’exploitation de l’homme par l’homme. L’engagement littéraire aboutit à la thèse d’après laquelle l’artiste doit se réconcilier avec la vie en plaçant son œuvre au centre des préoccupations humaines, car l’expression du beau n’est pas en soi (nécessairement) incompatible (opposée)  avec l’affirmation de l’utile du social et de l’humain. Faire l’utile en faisant le beau, telle est la nouvelle vocation que l’Engagement littéraire assigne à l’artiste. Il s’agit à cet effet de joindre l’utile à l’agréable afin de restaurer un équilibre à deux tendances : plaire et interpeller. N’est-ce pas en tout cas dans l’idée de rappeler à ses collègues écrivains l’essentiel de leurs activités qu’Albert CAMUS affirmait avec force : « notre métier d’écrivains s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce qu’on sait et la résistance à l’oppression ». Il ajouterait même volontiers : « Il n’y a pas de littérature engagée, il n’y a que d’écrivains engagés comme hommes et comme artistes, à s’efforcer de penser juste, peindre vrai et dire bellement ». Comme pour vibrer en phase avec Marcel ARTHAUD qui clamera tout haut : « je ne conçois pas de littérature sans éthique ».

            Mais s’étant insurgée contre le point de vue parnassien, l’Engagement ne restera pas à l’abri des critiques et condamnations trouvant leur raison d’être dans trois choses essentielles.



II- L’EFFICACITÉ DES ŒUVRES LITTÉRAIRES



             1-L’INCAPACITÉ DES LIVRES À TRANSFORMER DIRECTEMENT LE MONDE

            L’art en s’engageant peut-il changer le monde, c’est-à-dire transformer les hommes ou résoudre de manière effective les problèmes de la société ? Là est clairement posée la question de l’efficacité de l’art (et particulièrement de la littérature). La critique et la dénonciation ont-elles une influence, un effet direct sur la réalité au point de provoquer la révolution, c’est-à-dire la transformation substantielle et totale des mœurs ou du groupe social ? Certains dénonceront l’engagement comme inefficace et lui préféreront des procédés tels  que les manifestations plus ou moins violentes. Pour ceux-là, on ne fait pas la révolution avec les mots, mais avec les armes. C’est d’ailleurs l’avis de Henri LEFEBRE qui affirme que « la littérature ne peut pas apporter le salut parce qu’elle a besoin elle-même d’être sauvée ». De ce point de vue, les artistes, pourquoi en faire ? Certainement pour amuser la galerie, divertir les foules, peut-être dans tous les cas, mais rien de positif. 

2-L’INCONTESTABLE  POUVOIR  DE  LA  LITTÉRATURE

            A l’heure des modes de vie précaires, des mouvements de déstabilisation de l’honneur humain, l’artiste croit en l’art, en sa capacité d’influencer positivement le progrès social. Comment nier la force de la littérature lorsque nous connaissons le pouvoir des mots, la puissance de la parole telle que précisée dans la Bible en début du premier chapitre du livre de Jean: « Au commencement était la parole… et rien de ce qui fut créé ne le fut sans elle.» ? Aimé CESAIRE des années avant nous, comparait déjà la poésie à un pistolet chargé dont les vers sont des balles. De l’avis de cet auteur, le poète par la force de ses mots, la puissance de ses vers, peut remplir le rôle de transformateur des mœurs. La littérature peut travailler à l’éveil des consciences, elle peut réveiller les esprits endormis, ou sortir un peuple de sa léthargie (torpeur, profond sommeil)  et lui redonner confiance en lui-même et en l’avenir. C’est sans doute dans ce courant d’objectifs que s’inscrit l’ouvrage Cahier d’un Retour au Pays Natal. Dans ce livre, Aimé CESAIRE revalorise la négritude (appartenance à la race noire) et invite les siens à se tenir debout, à déserter l’indolence (paresse) et le complexe d’infériorité pour assumer leur destin de noirs. A partir de cet exemple, nous pouvons dire que l’art est capable de combattre les injustices et faire preuve d’humanité. De ce point de vue, l’artiste devient la conscience de son peuple et de son époque, le porte-parole des sans voix. Et CESAIRE de dire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche et ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». Bien plus, parce que l’homme est aussi un être d’aspiration, un être de sensibilité en quête de bien être et de valeurs esthétiques, il peut trouver en l’art en tant qu’expression du beau un bréviaire (une source de ravitaillement, de satisfaction). ALAIN le disait si bien dans Système des beaux arts : « le beau ne fleurit que sur l’utile, jusque dans la poésie où la mesure et la rime eurent d’abord pour fin de servir la mémoire ». L’art en tant qu’expression du beau peut consoler, émouvoir, susciter de la contemplation ou de l’admiration. C’est dire que l’art tout comme les autres activités de l’homme peut participer au progrès de l’humanité, même si l’artiste ne saurait se substituer à l’ingénieur ou à l’artisan. Ceux-ci travaillent sur la matière, l’artiste travaille sur les mentalités, sur les esprits et les consciences. Son œuvre n’est pas pragmatiste, mais n’en demeure pas moins efficace. D’ailleurs, la révolution française ne porte-t-elle pas l’estampille des écrivains français qui par leurs œuvres ont pu éveiller les consciences et combattre la monarchie absolue ? 

III-L’ACTUALITÉ DES ŒUVRES LITTÉRAIRES


           1-LE LIVRE LIMITÉ DANS L’ESPACE ET LE TEMPS

               

L’autre critique faite à l’Engagement est qu’il tue l’art en tuant l’esthétique, en sacrifiant la recherche du beau au bénéfice des combats à mener. Disons-le de manière sommaire, l’art peut aligner le souci du beau à l’exigence du vrai. L’art peut penser juste, vrai, mais aussi bellement.

            Enfin, il est reproché à l’Engagement de créer des œuvres de circonstance, des œuvres qui militent pour des causes limitées dans l’espace et dans le temps. Or de l’avis de Paul VALERY, l’œuvre d’art doit résister à l’usure et aux intempéries du temps, c’est-à-dire accéder à l’universalité et à l’atemporalité. Ainsi pense-t-il : « l’art opère dans l’éternel et s’avilit à vouloir servir fût-ce la plus noble des causes ».

            Mais de ce qu’une œuvre serve une cause, s’en suit-il nécessairement qu’elle perde son universalité ? Son immortalité ? L’œuvre engagée est-elle toujours caduque, dépassée du seul fait de son engagement ?




            2-L’UNIVERSALITÉ ET L’ATEMPORALITÉ DES PRODUCTIONS LITTERAIRES



            Victor HUGO répond. L’œuvre engagée en parlant de l’homme et de ses conditions à travers les diverses circonstances de la vie, parle de l’homme en général. A ce titre, il affirme : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Oh, ignorant qui pense que je ne suis pas toi ». Dénoncer la malhonnêteté au Cameroun c’est la combattre indirectement partout où elle existe, et, rappelons-le, la condition humaine est une et universelle. En combattant la discrimination raciale en Amérique, l’écrivain la décrie partout où elle règne, quelque soit l’époque qu’elle influence. C’est donc dire que l’œuvre engagée peut survivre à son temps, demeurer actuelle aussi longtemps que les problèmes qu’elle pose persistent, ici ou ailleurs. En fait, quand bien même l’artiste s’engage à dénoncer les maux et injustices, il use toujours d’un style, d’une manière, d’un ton qui non seulement émeuvent, mais aussi peuvent permettre à son œuvre d’échapper à la désuétude. L’œuvre d’art ne meurt pas totalement, elle peut vieillir d’un côté et rester actuelle par un autre.




IV- LA  CRÉATION  DE  LITTÉRAIRE.



1-LE  RÉALISME  ARTISTIQUE : L'IMITATION DE LA RÉALITÉ



            PLATON (428-348 Av J.C) dans La République soutien que l’artiste imite la nature. Pour cet auteur grec, l’artiste n’invente rien, il n’innove en rien. Tout ce qu’il peint, décrit ou écrit existe déjà quelque part, et à ce titre, l’art est une réminiscence des modèles contenus dans la nature. L’œuvre d’art est donc la copie plus ou moins conforme, le reflet de la nature. Les réalistes pensent   que   l’art   consiste   à   peindre   le   réel,   à   décrire  ou    présenter
les faits tels qu’ils sont. A l’arrière plan de cette thèse, se trouve l’idée que l’artiste par souci du vrai et du juste, doit être le témoin fidèle de sa société. Et STENDHAL, dont le vrai nom est Henri BEYLE (1783-1842), dira avec pertinence : « le roman est un miroir que l’on promène le long d’une route ». Il s’agit donc pour l’artiste de représenter la réalité sous ses divers aspects, sans toute fois essayer de l’embellir, de la modifier ou de la dénaturer.

            Notons tout de même que l’engagement est l’un des pendants du réalisme. S’engager c’est opter pour la contestation de ce qui est par le moyen de la description. Dans ce sens précis, Albert CAMUS disait : « Contester c’est constater pour construire ». L’engagement implique à cet effet que l’on pose les problèmes réels, que l’on décrive les faits concrets, et à cet effet Jean Paul SARTRE écrivait il y a quelques décades : « l’écrivain a choisi de dévoiler le monde et l’homme aux autres hommes ». L’artiste selon l’engagement n’est donc que le témoin objectif des événements de son époque.



2-L’IDÉALISME  ARTISTIQUE: LA FICTION, L’IMAGINAIRE



            HEGEL dans Esthétique réfute cette conception de l’art. A quoi bon « refaire une seconde fois ce qui existe dans le monde extérieur », s’interroge-t-il.. Une telle production ne serait-elle pas oiseuse, superflue ? Pourquoi représenter sur les tableaux ou dans les livres les scènes que nous connaissons déjà dans la réalité ? Or, la caractéristique fondamentale de l’œuvre d’art est le génie créatif, la capacité d’innover, d’inventer, de créer ou de produire l’original. Selon les créationnistes et les idéalistes, l’art n’imite point la nature, il crée des modèles qui n’existent pas, façonnent des œuvres originales qui sont le fruit de l’imagination créative de l’auteur. Nous comprenons dès lors pourquoi KANT affirme que « l’originalité doit être la première propriété de l’art ». Ainsi, l’art en tant qu’invention du beau exige un talent totalement « opposé à l’esprit d’imitation », ajoute KANT. Le réalisme est à l’engagement ce que l’idéalisme est au Parnasse. L’art engagé doit décrire le réel comme l’art pour l’art doit s’en passer pour produire des œuvres originales et belles en elles-mêmes. L’idéalisme se fonde sur l’idée d’après laquelle l’œuvre d’art est le fruit de l’imagination, une création ex-nihilo, c’est-à-dire qui n’a aucun rapport avec l’expérience, qui ne tire pas inspiration de la réalité.

Cependant, le réalisme peut-il se passer de l’imaginaire ? L’artiste peut-il vraiment créer à partir de rien ? Malgré leur opposition apparemment tranchée, il paraît que réalisme et idéalisme se côtoient mutuellement. 

       De l’avis de Roger CAILLOIS, « toute littérature participe d’une civilisation. Aucun livre ne sort directement des battements d’un cœur ». C’est pour ainsi dire que même dans l’œuvre la plus imaginaire qui puisse exister, se cache les marques de la société de son auteur ou celles de l’expérience personnelle de ce dernier. A tout prendre, réalisme et idéalisme s’imbriquent et sont plus ou moins présentes dans les courantes œuvres artistiques.