Dans ce témoignage, découvrez le quotidien de quelques êtres oubliés.

J'ai parcouru les rues le matin d'un certain samedi du mois de novembre 2018, défiant lors d'une séance de Jogging les quelques collines qui mènent à l'université de Ngoa-Ekelle à Yaoundé. Trainant un vieux sac vide sur lequel on a délicatement attaché le manche d'un parapluie, partageant le poids de cet emballage épuisé, recouvert de déchirures causées par les nombreuses et diverses intempéries, soigneusement rafistolé de cent et un lambeaux de tissus de toutes sortes, Je les ai observés un instant. Ils étaient au nombre de trois: une fillette et deux garçons, âgés entre 10 et 12 ans. se tenant par la main. Ils cherchaient tous à traverser la route surexploitée à cette heure de la journée. Il n'était que sept heures par-là, pourtant les routes souffraient déjà du poids insolent des véhicules célébrant une nouvelle liberté qui se proclamait de temps à autre au moyen d'un coup de klaxon.
Les trois petits enfants attendaient toujours l'occasion de traverser la route. Je m'approchais, je leur dis un bonjour rassurant. "Je vais vous aider les enfants", j'ajoutais. Mais, leurs yeux ahuris me laissèrent croire qu'ils étaient davantage inquiets. Je lançais un autre "bonjour" qui ne reçut aucune réponse. Je pensai immédiatement que les petits ne comprenaient pas "ma langue". J'optai pour l'anglais. "Good morning dear kids", lançai-je. Ils me répondirent, un peu rassurés, mais timidement. "Ah, des enfants anglophones", fis-je intérieurement.
Je leur proposai mon aide qu'ils acceptèrent. Alors, je leur fis traverser la route. Une fois à ce nouveau côté de la route, je leur demandai d'où ils venaient et où ils allaient. Ils me firent savoir qu'ils allaient au marché afin de trouver un moyen de travailler en tant que vendeurs ambulants. Ces Trois enfants, très tôt tous les matins, se rendent dans un marché de la place, se présentent à certains boutiquiers ou gérants de magasins. Ils doivent par la suite recevoir chacun un lot d'articles à transporter sur leurs têtes, qu'ils doivent vendre en serpentant toute la journée durant, les artères qui environnent le marché. Ils doivent affronter et les nombreux clients qui ne s'expriment qu'en français, humeur épidermique, et le soleil ou parfois la pluie, sans oublier la faim, car le but visé est de rentrer à la maison avec chacun 500 francs CFA environ, tous les soirs. Habités par un courage dont seul le ciel sait l'origine, les trois orphelins marchent, se retournent, s'arrêtent, proposent leurs produits, parfois d'une voix affaiblie par le traumatisme dont ils sont victimes. Leur visage dit un peu de ce qu'ils subissent chaque jour, leur regard supplie la clémence de monsieur tout le monde, mais leur entourage est trop préoccupé à vivre, vivre chacun pour lui-même, vivre sans se soucier de ceux qui n'ont plus ni espoir, ni soutien, ceux qui n'ont autre choix que de survivre au rythme de l'instinct qui agit toujours en eux.
Ils sont originaires de la région du Nord-Ouest du Cameroun. Ils ont perdu là-bas leurs parents ainsi que leur sœur aînée. Une voisine ayant réussi à prendre contact avec leur tante installée à Yaoundé avait réussi à les expédier comme des vulgaires colis à la capitale par le biais d'un "Gros porteur".
Ils sont originaires de la région du Nord-Ouest du Cameroun. Ils ont perdu là-bas leurs parents ainsi que leur sœur aînée. Une voisine ayant réussi à prendre contact avec leur tante installée à Yaoundé avait réussi à les expédier comme des vulgaires colis à la capitale par le biais d'un "Gros porteur".
Arrivés à Yaoundé, ils furent reçus, mais une nouvelle phase de leur misère les attendait. La tante qui les reçut souffre depuis trois ans d'un mal dont elle n'a pu guérir jusqu'ici. Femme solitaire, ancienne commerçante, affligée par la brutale disparition des membres de sa famille du fait de la crise qui sévit dans les régions dites anglophones, elle ne peut plus vaquer à ses activités quotidiennes. Auparavant, elle avait la charge de soutenir sa défunte sœur ainsi que ses deux frères (tous décédés) dans le financement de l'éducation de leurs enfants respectifs. Elle, contrainte de payer le loyer (une chambre pour laquelle elle verse environ 12.000 Francs CFA chaque mois au propriétaire), n'a eu autre option que d'initier ses neveux à la pratique de la débrouillardise, afin de survivre en attendant la fin.
De quelle fin s'agira-t-il cependant? De la fin de sa vie ou plutôt de la fin de sa misère? Et si sa vie venait à prendre fin, que deviendraient les trois enfants? Ces orphelins qui n'ont jamais demandé à naître dans une zone anglophone, j'allais dire dans une région frappée par une crise inattendue? Comment et où vivraient-ils? Qui de la société et de l'ensemble des pouvoirs publics prendrait en charge leur destin? Qu'ont fait ces enfants au monde pour mériter toute cette galère? Pour l'instant, ils n'ont pour partage que cette pauvreté et cette tristesse qui les fait périr psychologiquement, mais aussi physiquement, un peu plus chaque jour. Ils ne connaissent plus depuis de nombreux mois le chemin qui mène à une école. Ils ont pris ce chemin, celui qui mène à l'école de la souffrance, au lendemain de l'incertitude et de la permanente résignation.
De mon point de vue, notre gouvernement pourrait envisager le recensement des déplacés internes victimes de la crise anglophone, dans toutes les grandes métropoles où ceux-ci ont pu trouver refuge, afin d'envisager une réelle prise en charge de ces personnes qui ont tous besoin de notre attention, de notre aide, de notre amour. Cette initiative valoriserait sans aucun doute la politique des grandes opportunités du président réélu.
Sauvons l'harmonie sociale au Cameroun.
Arnaud BAKELAK